Il faudrait alors :
supprimer les forêts françaises, ce qui permet de libérer 10 millions d'hectares de terres arables,
tout planter en betteraves sucrières,
utiliser la chaleur de centrales nucléaires pour faire les engrais (la fabrication des engrais consomme de l'hydrogène comme matière première, et cet hydrogène peut très bien être fait avec des centrales nucléaires), et pour fournir les calories des traitements thermiques intermédiaires : distillation, séchag, etc.
Mais même un tel "plan massue" ne permettrait pas d'obtenir l'équivalent de la consommation pétrolière actuelle (il faudrait supprimer forêts et prairies !), et pour obtenir 50 Mtep de biocarburants, il faudrait disposer d'une quantité d'énergie calorifique du même ordre de grandeur, soit quelque chose comme 40 réacteurs nucléaires supplémentaires !
La filière biogaz avec un procédé Fischer-Tropsch derrière, permettant d'obtenir des carburants liquides exactement identiques à l'essence, butte sur les mêmes limitations : avec des rendements nets compris entre 1 et 2 tep à l'hectare, obtenir 20 millions de tep de la sorte (soit 50% des carburants routiers actuellement) requiert 10 millions d'hectares, soit l'affectation à cet usage de l'ensemble de la superficie forestière actuelle, à peu de choses près.
Il apparaît donc que jamais les biocarburants ne permettront de conserver l'abondance actuelle de carburants liquides, et il s'en faut de beaucoup. Espérer 20% des carburants routiers actuels à partir de biocarburants (rendement net), soit 15 Mtep environ, est probablement une limite haute, dans un cas de figure très favorable.
Et ailleurs dans le monde ?
Mais, va penser le lecteur, peut-être que ce qui n'est pas possible pour la France, qui est un pays pas très grand et densément peuplé, l'est pour le reste du monde ? Well well well, au niveau mondial nous disposons actuellement de 1.400 millions d'hectares de terres arables (source FAO). Avec la petite correspondance ci-dessus de 1 tonne de carburant pour un hectare cultivé (contrairement à ce qui est souvent indiqué, la productivité primaire des écosystèmes tropicaux n'est pas nécessairement supérieure à celle des régions tempérées), nous voyons qu'en mettant toutes ces terres en cultures nous obtiendrions 1400 millions de tonnes d'équivalent pétrole, alors que le monde en consomme aujourd'hui.....3500 millions de tonnes. Bref, en ne mangeant plus, nous pourrions faire rouler 40% de nos voitures au biocarburant !
Affecter 10% des surfaces agricoles à des biocarburants permettrait une production nette de l'ordre de 4% de la consommation actuelle de produits pétroliers, pouvant monter jusqu'à 10% en cas d'hypothèses très favorables. Même en supposant que nous pourrions, sous les tropiques, planter des variétés beaucoup plus productives en huile, nous n'y sommes pas pour rouler entièrement au biocarburant, et il s'en faut de beaucoup.
Les biocaburants permettent-ils de rouler "sans gaz à effet de serre" ?
Enfin, en matière de gaz à effet de serre, on est tenté de penser que le carburant issu de la biomasse n'engendre aucune émission de CO2 fossile et donc que ces carburants sont "propres". Actuellement rien ne saurait être plus faux (d'une manière générale la production d'énergie de manière totalement "propre" n'existe pas). En effet :
les consommations intermédiaires (tracteur, distillation) sont actuellement assurées avec des énergies fossiles, donc "il y a du CO2 dans les biocarburants",
si l'on fertilise les champs (ce qui est indispensable pour obtenir les rendements mentionnés ci-dessus), il faut fabriquer les engrais, or l'agrochimie, comme toute chimie, est une source de gaz à effet de serre (en outre les engrais azotés sont actuellement faits avec du gaz naturel comme matière première),
l'épandage de ces mêmes engrais est une source de N2O, gaz à effet de serre (cette remarque vaut du reste pour toute activité agricole), et cela resterait valable même si ces engrais étaient faits avec de l'énergie nucléaire,
si ce sont des prairies qui se mettent à être cultivées pour obtenir du biocarburant, cela va conduire à une émission de CO2 par le sol (voir graphique sur les contenus en carbone des sols : un sol de prairie stocke 3 fois plus de carbone qu'un sol cultivé, donc en mettant en culture une prairie on conduit à des émissions de CO2 supplémentaires)
enfin la combustion du carburant "vert" lui-même peut dégager des gaz à effet de serre mineurs (N2O, CH4) en quantité supérieure à ce que l'on obtient avec un litre d'essence, même si, il est vrai, ces émissions de gaz sont marginales comparées à celles de CO2.
Il en résulte que, très vraisemblablement, l'utilisation du biocarburant représente une économie par rapport à l'essence en matière d'émissions de gaz à effet de serre, mais que penser que le salut réside dans la généralisation du système est aller bien vite en besogne.
Enfin si on généralisait ce système on serait tenté de faire des cultures aussi intensives que possible, ce qui ne pourrait qu'accroître les autres inconvénients - déjà significatifs - de l'agriculture sur l'environnement, par exemple à travers les pesticides ou l'érosion des sols.
Une vraie marge de manoeuvre pour les agriculteurs
Les calculs d'ordre de grandeur ci-dessus montrent que l'on peut néanmoins envisager quelques millions de tonnes de biocarburants en France sans inconvénient ingérable. Encore une fois, nous n'y sommes pas pour faire rouler la voiture de Monsieur tout le monde au biocarburant, mais sachant que la consommation de produits pétroliers de l'agriculture est de l'ordre de 4 Mtep dans le pays, pourquoi ne pas affecter prioritairement ces biocarburants pour faire rouler les tracteurs ? On pourrait ainsi partiellement protéger une profession qui est souvent financièrement tendue - les agriculteurs - des soubresauts du marché pétrolier, le prix des biocarburants ne variant pas aussi vite que ceux du diesel en cas de hausse brutale de ce dernier (et ne variant pas du tout si ces biocarburants sont produits avec des calories nucléaires).
On achèverait ainsi de traiter ce dossier des biocarburants pour ce qu'il est vraiment , au moins aujourd'hui : un intéressant problème de politique agricole, mais un enjeu secondaire de politique énergétique. Sur ce dernier point, il vaut bien mieux commencer par faire de sérieuses économies d'énergie pour s'affranchir du pétrole que de tout miser sur un "pétrole vert", qui sera justement d'autant plus intéressant en proportion de la consommation que cette dernière aura commencé par sérieusement baisser avant.